Un paquet de carte sur la table, je le divise en quatre et montre la première carte du paquet. Pique, cœur, trèfle, carreau, tous des as. J'étale le reste, remets les as dans un ordre apparemment chaotique, et montre les quatre cartes du dessus du paquet. Pique, cœur, trèfle, carreau, des rois. Je mélange à nouveau, et cette fois, ce sont les quatre cartes de la fin du paquet que je place devant moi. Pique, cœur, trèfle, carreau... Que des reines.
L'endroit où je travaille est impeccablement nettoyé, non pas que je sois particulièrement craintif des maladies, mais je sais qu'un environnement sain et la meilleure des médecines. L'endroit aurait dû être habillé de la musique d'un tourne-disque et de son opéra pré-enregistré, mais je n'ai malheureusement pas les moyens de me payer un tel luxe, alors je chante à la place, timidement, exclusivement pour moi-même.
Il y a, ici et là, des reconstructions de squelette animaux, des schémas, des dessins. Et, soigneusement rangé dans un coin, tout un tas d'outils chirurgicaux alignés, et brillants. La veille, j'ai dû opérer ici même de quelqu'un dont l'appendice avait craqué et dont le liquide s'était répandu dans le corps. La seule chose qui peut encore témoigner de cette intervention est une odeur âcre dont je n'arrive pas à me débarrasser.
Pique, cœur, trèfle, carreau...
...Que des valets...
Je me redresse et entends quelqu'un approcher. Je n'avais pas prévu d'avoir une visite si matinale et je sens déjà les prémices de la tension qui me viennent. J'espère que c'est quelqu'un de suffisamment gravement blessé pour que je n'ai pas besoin de lui faire la conversation. En tout cas, je me lève de mon siège, embarque mon paquet de carte, et attends de voir ce que fera cette personne. Entrer ? Frapper ? Appeler à l'aide ?
"Bonjour." Il paraîtrait qu'il faut toujours commencer par un signe de politesse, dans ce pays, c'est sacré. Cependant, cet homme semble ne pas suivre les conventions sociales ce qui a pour effet de me détendre immédiatement et imperceptiblement.
"J'interviens, nous verrons ensuite." Je vais pouvoir agir de manière plus réelle avec lui.
Je me lève et, d'un geste, replie la trousse à outil, avant de faire face à l'homme qui est venu me trouver. Je le détaille un instant. Il a le nez cassé plusieurs fois, quelques blessures superficielles ici et là, une carrure d'homme fort, et l'odeur de ceux qui ne vivent pas longtemps, mais intensément. Me voilà, prêt à le suivre. Je lui indique la porte de sortie d'un signe de tête.
"Vous me raconterez ce qui se passe sur le chemin."Toujours cet accent de l'est. Prononciation approximative dans un phrasé impeccable, académique.
- Désolé:
J'ai pas eu la notif, je viens seulement de le voir. Pardooon. J'espère que ça ira. N'hésitez pas à me dire s'il y a quoi que ce soit.